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L’entreprise est-elle condamnée à perdre aux prud’hommes ?

L’entreprise est-elle condamnée à perdre aux prud’hommes ?

Author : Maître Christophe BIDAL
Published on : 25/06/2025 25 June Jun 06 2025

On m’a dernièrement posé la question.

Poser la question de savoir si l’entreprise est condamnée à perdre aux prud’hommes, quand on plaide pour les employeurs en droit du travail, pourrait être interprété comme un renoncement, ce qui n’est pas très heureux.

Et pourtant, la question peut objectivement se poser.

La question se pose, d’abord, car plaider devant un bureau de jugement composé paritairement, c’est-à-dire plaider devant une juridiction dans laquelle siège un nombre égal de conseillers prud’hommes employeurs et salariés, n’est pas la garantie pour l’entreprise d’emporter la voix des conseillers prud’hommes employeurs, ni donc de ne pas perdre son procès.

Il y a à cela deux raisons, juridique et empirique.

Juridique, car selon le Code du travail, les conseillers prud’hommes exercent leur fonction en indépendance, impartialité, dignité et probité.

Et si les conseillers prud’hommes, indépendants et impartiaux, ont la conviction que l’entreprise défenderesse au procès a tort, l’entreprise défenderesse au procès sera condamnée.

Empirique, car si le conseiller prud’hommes nouvellement installé, d’ailleurs employeur comme salarié, entre en mission avec une fibre militante forte, l’expérience montre qu’au fur et à mesure du mandat, le juge se substitue au militant et le conseiller prud’hommes devient comme Saint Louis sous son chêne : il rend justice et si l’entreprise doit être objectivement condamnée, elle le sera.

Ensuite, la question de l’employeur condamné à perdre aux prud’hommes se pose à raison du Code du travail.

On peut penser que le Code du travail donne des droits à l’employeur.

Mais plutôt que donner des droits à l’employeur, il limite le droit de propriété de l’employeur sur son entreprise et en conditionne ou en interdit l’exercice.

L’exemple du licenciement est parlant.

En droit commun des contrats, un contractant peut rompre unilatéralement un contrat à durée indéterminée à condition de respecter un délai de prévenance ou de préavis.

En droit des relations individuelles de travail, l’employeur a le droit de rompre unilatéralement le contrat de travail à durée indéterminée, à condition de respecter un délai de préavis mais également de justifier d’un motif réel et sérieux imputable au salarié, ce qui, chacun en conviendra, est plus restrictif qu’en droit commun.

Et toute l’architecture du Code du travail, dans tous les domaines qu’il traite, est ainsi : le Code du travail est non un recueil des droits de l’employeur, mais un ordre public de protection du salarié, appliqué tel quel par le juge prud’homal, en opposition aux droits de l’employeur.

Enfin, la question de l’entreprise succombant aux prud’hommes se pose à raison de la jurisprudence, pas tant celle des Conseils de prud’hommes, mais surtout celle de la Cour de cassation et des Cours d’appel.

Pourquoi et comment ?

Pourquoi, car les magistrats, au contraire d’une tendance souvent constatée chez les conseillers prud’hommes, ne statuent pas en équité.

Ils appliquent mécaniquement le Code du travail et, comme le Code du travail est un ordre public de protection des salariés, développent une jurisprudence protectrice des droits des salariés, à l’inverse difficile pour les entreprises.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’entreprise, d’expérience, doit bien y réfléchir à deux fois avant d’interjeter appel d’un jugement prud’homal.

Comment, car la chambre sociale de la Cour de cassation, depuis les années 90 sous l’influence de son doyen Philippe WAQUET, a donné un caractère normatif à sa jurisprudence, favorisant l’interprétation et l’application de la législation sociale dans un sens plus contraignant pour les entreprises et corrélativement plus favorable aux salariés.

Partant, la question du procès prud’homal létal pour l’entreprise se pose.

Mais néanmoins, tout n’est pas perdu.

Tout d’abord, il arrive que le salarié perde son procès prud’homal engagé contre l’entreprise.

Existe à cet égard un facteur thématique.

Si le salarié ne porte pas la responsabilité primitive de la décision de licenciement, ce qui est par exemple le cas en matière de licenciement pour motif économique ou de licenciement pour inaptitude, a fortiori d’origine professionnelle, la jurisprudence lui est plutôt favorable.

Mais si le salarié porte la responsabilité primitive du licenciement, on pourra alors espérer une issue judiciaire favorable à l’entreprise.

On pense ici au licenciement disciplinaire, dont la cause fautive est prouvée et la sanction proportionnée.

Ainsi, le procès prud’homal n’est pas un procès perdu d’avance pour l’entreprise.

Si l’entreprise perdait toujours le procès prud’homal, le procès prud’homal ne serait pas un procès.

Entre perdre et gagner, presque tout, en fait, dépendra du dossier et des preuves qu’il contient, car le nerf de la guerre est la pièce.

Le reste dépendra un peu, parfois beaucoup, de la sensibilité des juges prud’homaux ou des magistrats statuant et, gageons le, de la qualité des avocats.

Ensuite, tout n’est pas perdu car il y a perdre et perdre.

Si le salarié demande 100 et qu’il obtient 10, le procès sera rangé dans les statistiques des procès gagnés par les salariés, mais il aura dans les faits été gagné par l’entreprise.

Il est des dossiers dans lesquels le Conseil de prud’hommes ne pourra pas faire autrement que condamner l’entreprise par principe.

Mais, en équité, un quantum alloué au salarié a minima nonobstant la condamnation de principe, peut pour l’entreprise être une issue satisfactoire.

Enfin, tout n’est pas perdu nonobstant le procès prud’homal perdu.

Quand un chef d’entreprise prend une décision, il la prend dans l’intérêt de l’entreprise.

Aucun chef d’entreprise ne se lève le matin en décidant qu’il va licencier un salarié sans avoir une bonne raison de le faire.

Pour autant, la décision de licencier un salarié ne répond pas toujours à l’exigence de la cause réelle et sérieuse, a fortiori dans la perspective de l’aléa judiciaire du procès prud’homal.

Plus, il peut parfois être nécessaire à l’intérêt de l’entreprise de décider un licenciement qui ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

Cela peut heurter mais les exemples sont divers.

Un salarié fait bien son travail mais, au quotidien, présente un comportement désagréable et ne s’entend pas avec ses collègues de travail, ce qui nuit à l’ambiance générale de la communauté de travail.

La mésentente, en soi, n’est pas un motif de licenciement.

Mais plutôt que courir le risque de voir les autres salariés démissionner pour fuir leur collègue nuisant à l’ambiance de travail, le chef d’entreprise décidera un licenciement dont la genèse est la mésentente, qui n’est en soi pas une cause de licenciement.

La décision de licenciement sera pourtant prise par l’employeur dans l’intérêt de l’entreprise, au risque de perdre le procès prud’homal.

Autre exemple, un salarié, dont les fonctions lui font connaitre les secrets de fabrique et le fichier des clients de l’entreprise, épouse un conjoint travaillant dans l’encadrement commercial d’une entreprise concurrente.

L’employeur pourra légitimement craindre de voir des informations relevant du secret des affaires fuiter à la concurrence, via le foyer familial de son salarié.

Et se posera donc une vraie question de confiance.

Or, la perte de confiance n’est pas un motif de licenciement.

Pour autant, l’employeur choisira de licencier le salarié dans l’intérêt de l’entreprise, alors que la cause première et déterminante de sa décision reposera sur un motif qui n’est pas une cause de licenciement.

Ainsi, l’employeur peut décider de licencier au risque quasi assuré de perdre le procès prud’homal et, sauf débat de nullité, de payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Mais par sa décision de licencier, même sans cause réelle et sérieuse, l’employeur aura sauvegardé les intérêts de l’entreprise.


Même si le procès prud’homal est perdu, il faut toujours se retourner sur la ratio legis de la décision d’entreprise judiciairement contestée, qui doit toujours être assumée.

Car de ce point de vue, un procès prud’homal perdu sera parfois le prix d’une décision d’entreprise gagnante.


On doit bien convenir, a priori, que la question de la condamnation systématique de l’entreprise aux prud’hommes puisse se poser.

L’entreprise, à l’instar de son avocat, préfèrera évidemment gagner son procès prud’homal et fera tout pour – évidemment en respectant les règles du procès –.

Pour l’entreprise, perdre ou gagner le procès prud’homal  relèvera toutefois autant du dispositif de la décision judiciaire que d’une appréciation plus globale tenant à l’enjeu, au quantum et à l’intérêt de l’entreprise.

Article rédigé par Maître Christophe BIDAL, Avocate Associé

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